Le goût des Miracles
Le bien-être appartient à notre nature. Il est notre héritage divin. Si nous en faisons si rarement l’expérience, c’est juste parce qu’on nous a enseigné que les épreuves et les sacrifices – voire même les maladies – étaient des exigences auxquelles il fallait satisfaire avant de pouvoir prétendre à n’importe quelle récompense ou soulagement et que nous avons pris l’habitude d’ériger en permanence des barrages entre lui et nous. C’est un fait : que ce soit au niveau collectif ou individuel, nous avons de tous temps appris à dysfonctionner. Nous avons d’ailleurs été de si bons élèves, que nous sommes, nous aussi, passés maîtres dans l’enseignement de « l’art du dysfonctionnement ».
Pourtant, lorsqu’un miracle survient, on lui trouve aussitôt un goût d’évidence.
Un miracle n’est rien d’autre qu’un lâcher instantané de toutes les résistances que nous avons érigé en obstacle entre le bien être et nous. C’est pourquoi, il a une saveur et un parfum tout à fait reconnaissables. Que ce soit dans ce domaine particulier ou dans n’importe quel autre, voilà que ça respire au-dedans : tout est devenu simple, vaste et fluide.
Un miracle n’a pas besoin d’être tapageur, aussi n’allez pas vous imaginer n’en avoir jamais connu. Nos vies en sont tissées de toutes sortes qui tous demandent à être célébrés. Aucun n’est insignifiant. Aucun ne mérite de se voir refuser la mention officielle grâce à quoi nous allons pouvoir reconnecter avec l’un des états naturels du bien-être d’origine. De même, aucun ne mérite d’être oublié sous prétexte que le temps a passé.
Il y a une quinzaine d’années, profitant d’une rare soirée où je pouvais avoir à disposition l’ordinateur que nous nous partagions, mon fils, son père et moi, je m’apprêtais à suivre une conférence sur Conversation Papillon animée par Jacques Martel, dont le thème était « La Maladie et la Langue des Oiseaux ».
Comme à l’accoutumée, le tchat avait été réouvert en fin de conférence pour une série de questions/réponses, et c’est alors que je me suis observée, guettant fébrilement les messages des auditeurs pour voir si l’affection dont je souffrais y figurait, ce qui aurait pu dénoter une assez mauvaise compréhension des choses. Et pourtant, je savais que je n’avais nul besoin d’un élément extérieur pour obtenir cette information que j’étais désireuse de trouver. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas été étonnée quand soudain la réponse a fusé en moi, exactement comme un sanglot d’enfant que seules quelques secondes ont permis de rendre compréhensibles :
Hé-Pa-Ti-Ti ! Je ne suis pas Titi ! tentait de crier la petite fille que j’avais été au milieu des pleurs qui l’agitaient.
Titi ou La Titi était le nom avec lequel ma mère m’avait désignée de l’enfance à l’adolescence et qui visait à me définir : La Titi elle est comme ci, la Titi elle pense comme ça. Or, la phrase qui revenait régulièrement était : « La Titi, elle est sans cœur. » Et vous avez deviné quoi ? Alors que j’étais bien placée pour savoir que la monstration de ma sensibilité aurait permis à ma mère de mieux me manipuler et qu’il était donc préférable pour ma sécurité, que je continue à la cacher, j’avais fini par la croire. Et cette croyance était même tellement ancrée qu’elle était encore active à mon insu plus de trois décennies après.
L’effet a été immédiat : quelque chose s’est dénoué en moi. Quelque chose de l’ordre de l’évidence. Quelque chose de l’ordre de la clarté. Non seulement, j’avais un cœur mais je n’étais tout simplement pas ce personnage qu’elle avait inventé. Et je me souviens m’être dit le plus simplement et le plus naturellement du monde : cette hépatite ne signifie rien pour moi à l’exacte moment où je la laissais aller.
Et c’était joyeux. Et c’était évident. Et c’était vivant. Et cela ne nécessitait aucunement d’être justifié ni commenté. À tel point que je n’ai pas le souvenir d’y avoir pensé lorsque le père de mon fils m’a déposé le lendemain à l’hôpital pour pratiquer l’examen annuel qui consistait à évaluer la fibrose grâce à une onde de choc dans le foie. Du moins pas jusqu’au moment où j’ai été convoquée une fois ledit examen passé, par deux médecins à l’air grave qui m’ont fait asseoir face à eux dans un grand bureau.
« Nous ne comprenons pas du tout ce qui se passe », m’a dit l’un d’entre eux. L’imagerie en effet est extrêmement fiable, et pourtant il n’y a plus aucune trace de la fibrose : c’est inexplicable ». Il semblait vraiment désolé.
Pour me rendre à la gare et rentrer chez moi, il me fallait d’abord rejoindre le centre de Bordeaux, aussi me suis mise en quête d’un conducteur qui accepte de m’y déposer. Mais voilà que sur le trajet, mon portable sonne. Je vous fais la scène en raccourci :
– Euh Mman, c’est normal le truc incandescent sur le feu et la fumée partout dans la maison ? Oui ; mon fils avait déjà un humour assez bien marqué.
Et moi de comprendre que j’ai oublié de couper le gaz sous le repas que j’avais préparé, et de me souvenir qu’il y a un faitout rempli d’huile à côté et accessoirement aussi que la bouteille de gaz vient juste d’être changée. Puis de réaliser qu’il est à peine 12h et que mon fils ne sort habituellement du car qu’à 16h50.
– Mais qu’est-ce tu fais là ? je lui demande. Et lui de m’informer qu’il y a eu une grève surprise et qu’un parent d’élève s’est proposé de le ramener.
Ainsi, aurais-je pu intituler ce billet : Le jour où la maison n’a pas brûlé…
Je pourrais en rester là et pourtant, ce ne serait pas très honnête. Il se trouve en effet que la fibrose a repris de plus belle ces dernières années. En ai-je déduit pour autant que les miracles n’existaient finalement pas ou qu’ils n’étaient pas pérennes ? Certainement pas. Ce que j’ai compris, c’est qu’ils réclament de nous une certaine vigilance doublée d’un engagement à ne pas laisser les résistances se réinstaller.
J’avais été bien trop distraite.