Le cœur du sujet

Questionner la question est une affaire de philosophie autant que de philozoé et le recours à ce néologisme n’a vraiment rien d’un artifice. C’est là une des façons que j’ai aujourd’hui d’exprimer avec mon amour de la sagesse, celui de la vie elle-même. Pas un moyen de la torturer.

Où suis-je -par rapport à l’endroit où je devrais être ? est l’une de celles qui m’a été posée à un tournant de mon histoire et j’en ai aimé la saveur avant même que de me demander à quelle géographie intime la question voulait me ramener.

Puis, comme il se trouve que j’en avais une vague idée, j’ai voulu savoir quelle était la distance ainsi évoquée qui me séparerait tout simplement de moi-même.

 

Quelle espace y a-t-il entre la membrane que je donne à voir et ce qui vibre au cœur de mon véritable noyau ? ai-je donc demandé.

Régulièrement, la question aussi veut savoir ce que j’attends – ou n’attends pas – justement de la vie. Et moi de m’interroger encore sur ce je à qui la question s’adresse.

Est-ce ce “je” que je crois connaitre ou est-ce celui qui danse au plus intime de mes cellules ? Est-ce que je sais seulement qui Je Suis ?

Elle interroge les émotions qui m’habitent et les convictions que j’entretiens qui exilent ce je du Je en empêchant ou freinant sa reconnexion à lui. Elle me dit qu’où Je Suis c’est d’abord et aussi où j’en suis.

Je n’ignore pas aujourd’hui, non seulement que ma façon de penser la mort reflète ma façon de penser la vie, mais que c’est le fait même de penser la vie qui la rend manifeste. Et cette invitation qui m’est faite d’imaginer la nature et la qualité de présence que j’offre à l’autre depuis mon propre éloignement m’oblige à réviser ce qui en moi est pour de bon vivant.

Mais qu’est-ce que j’attends vraiment ? insiste la question. A quel véritable désir puis-je me raccorder en cet instant présent et de quel endroit émane cette attente ?

La question m’oblige à penser à quoi ressemblerait mon accomplissement idéal. Elle veut savoir ce que je répondrais à la fée si celle-ci venait me proposer de réaliser ce vœu.

Qu’est-ce que Je vœu dit-elle ou encore que veut Je Suis ? Et je reconnais là une question pour chaque instant. Et j’y vois l’objet de toute une vie.

On est souvent paralysée face à la fée. Comme si nous n’étions pas vraiment dignes de lui répondre. Et que l’on sache ou non de quelle histoire ancienne ce sentiment est le vestige, on ignore comment le laisser aller.

Le dévouement en nous qui va permettre de mettre notre confiance au service d’une dignité retrouvée, on ne sait pas comment le trouver.

Pourquoi ai-je tant de difficulté à croire en toi ? dit-je à la fée. En quoi je bloque l’accès à ce que tu veux concrétiser ? s’inquiète auprès d’elle le chevalier.

Qu’est-ce qui fait que je ne suis pas votre serviteur fidèle ? dit-il encore en s’adressant au roi. Mais quel est mon désir s’interroge celui-là.

Tous se défaussent ou coopèrent.

Et quand on n’est pas stupéfié, alors c’est qu’on ne la voit pas.

Où es-tu la fée ? Dis-je perdue au milieu d’un royaume où tout le monde dort.

Et la question de m’interroger sur ma faculté à l’intuition et à l’émerveillement.

Comment puis-je répondre de façon juste à chaque évènement – que celui-ci m’apparaisse lui-même juste ou révoltant – me dit-elle. Comment puis-je être apte – habilitée et habile – à répondre au désir du roi et au questions de la fée qui vient vérifier ma fidélité.

Chaque réponse m’invite à questionner encore. Je questionne ma faculté à répondre et j’interroge la question et je découvre que c’est là encore une affaire de respons-abilité.

Où suis-je par rapport à l’endroit où je devrais être ? puis-je à nouveau m’interroger.

Où serait le lieu de cette connexion – le centre, cet endroit où je suis centrée ?

Quel serait le siège de ce vrai désir qui fait la quête du chevalier que je suis ? Où celui-là prend -il sa source ? Qu’est ce qui en moi se fait calice pour le réceptionner ?

Et je me vois lui répondre au tout début avec circonspection, un peu comme s’il s’agissait d’un gros mot : le cœur ?

Oui, je crois aujourd’hui que le cœur, tout comme la conscience est au cœur de chaque sujet.

Questionner la question n’a pas toujours été mon mode de fonctionnement et si dans le passé celle-là me demandait déjà où j’étais, je répondais sur un ton péremptoire et depuis ma seule condition existentielle en quel lieu sinistre je me trouvais.

Je suis ici. Je suis là. Je veux fuir. Je n’ai aucun endroit où aller.

Je pressentais pourtant la faille parce que le vrai Je en moi voulait répondre et que je le sentais.

Le vrai Je à chaque instant sans discontinuité cherche à nous guider et je sais quel chemin j’ai pu parcourir déjà de la périphérie en direction du centre pour me laisser toucher par cette énergie qui s’y trouve et découvrir ainsi qu’au revers de la peur, l’amour n’avait pas le visage joufflu et rubicond que j’abhorrais.

Ce chemin aussi déterminé qu’interminable, je sais l’avoir choisi. Tout comme je sais avoir refusé en moi le vœu pour ne laisser s’exprimer que le petit “je”: un chevalier sans monture, errant désœuvré dans un monde oxydé.

Et la fidélité en moi, qui avait tellement envie de s’exercer, c’est à la nuit que je l’ai appliquée. Oui, j’ai choisi d’être à la nuit fidèle. Et de me dévouer au modèle d’effrayante esthétique que j’avais édifié.

Pour pouvoir y survivre, il m’a fallu déployer bien des talents avant que de me défaire de mon armure étriquée et de me mettre en quête de ce désir informulé. Ainsi la nuit était parfaite pour que la lumière puisse s’imposer. Ainsi ai-je pu voir ma vie s’écrire comme une icône.

A ce désir de lumière, je n’ai jamais cessé de consentir. Avant même de la voir s’exprimer dans ma vie. Alors que tout ce sur quoi mes yeux se posaient semblait entériner la noirceur du monde. Sans avoir jamais tenté d’ôter un seul coin des voiles qui l’occultaient.

C’était quoi la lumière ? Ça ressemblait à quoi ? On la trouvait où ? Je n’en avais aucune idée.

Mais depuis l’éblouissante vision venue pour me saisir un jour jusqu’à la modeste et stupide boule à facette que je contemplais dans la nuit artificielle du cabaret où j’ai durant une dizaine d’années appris à fonctionner, je devinais que j’étais concernée.

L’information était là, avant même que je n’en ai conscience, et tout comme je savais que se déshabiller répondait à une nécessité, j’ai su un jour qu’un changement de regard pouvait tout changer.

Mais je me suis mépris sur la nature du vêtement qu’il fallait ôter je n’ai pas entendu la question qui demandait ce qui pourrait bien originer ce nouveau regard.

Fallait-il avoir recours à des verres teintés ou devais-je changer de perspective pour capter un angle différent ? Et combien existait-il de perspectives et quel était le spectre entier des couleurs ? Combien existait-il d’états de lumière ?

Cette conscience qui aujourd’hui a grandi, pleine – parce que fécondée – des expériences auxquelles j’ai su ouvrir enfin l’accès, a plus de sens que tous les brouillages de sons ou d’images qui me viennent du monde. Et pourtant c’est bien aussi le monde qui s’en trouve par elle éclairé.

Certains se coupent eux-mêmes de tout ce qui n’appartient pas au monde sensible et n’en veulent pas entendre parler. Ils invoquent le bon sens ou encore les déviances des Eglises et font appel pour le justifier à des expériences qu’ils ont pu vivre par le passé.

Ils invoquent le cartésianisme en oubliant que même Descartes interrogeait les signes qu’il percevait du monde subtil. Il questionnait ses rêves et son intuition et n’était de-facto en aucune façon cartésien.

Nous savons depuis un moment déjà que nous marchons principalement sur du vide.

Que la chaise sur laquelle nous sommes assis est constituée pour la plus grande part de vide, Que nous sommes nous même fait essentiellement de vide et que le vide est un champ d’énergie informationnelle qui s’étend comme un vaste filet.

Pourtant il en est encore qui ricanent à peine évoque-t-on la notion d’invisible.

Et la foule de tous ceux qui se réclament d’un Dieu schizophrène relégué à l’endroit le plus éloigné d’eux même, de s’agiter ou de se recroqueviller davantage sur une ritualité évidée, affligés de la même cécité qui les rend hermétiques à une autre forme d’intelligence que celle à laquelle il est si facile de se référer.

Aveugle aussi à l’invisible je me suis révélée comme ceux qui en nient la confondante présence. Et ce n’est pas parce que je refusais d’y croire, mais parce que l’interprétation que j’en faisais était totalement erronée.

Il y avait d’un côté l’impossible et éternelle question et de l’autre le paradigme du non-choix pour coupante réponse : un impossible et définitif ordinaire.

Nous sommes tous à notre niveau des apprentis sorciers qui n’ont pas conscience de l’être. Autant parce que l’on préfère endosser le rôle du maître sans l’avoir intégré que parce que l’on nie ou oublie la magie elle-même qui sous-tend toute chose.

Pour être passée d’un vide – pas désert mais plutôt mal fréquenté – à la révélation de la plénitude joyeuse du vide, la vie n’en finit pas faire sens et de m’émerveiller.

Il est une lumière intelligente qui déchire le monde dans sa noirceur, jusqu’à faire resplendir la plus infime des particules. Et cette lumière me déchire en ce sens que Je Suis bien plus que ce que je crois être.

Je me sens redevable de cet émerveillement et bien que je ne fasse encore qu’apprendre et que je devine qu’on ne puisse transmettre quoique ce soit qu’à celui qui en a déjà goûté la réalité, j’ai le désir d’en faire le témoignage.

Je vœu.