Mémoires
Parce que mon passé m’échappait et que je n’en possédais que des bribes, j’avais fini par voir en la mémoire un objet à reconquérir. Si certains voulaient oublier, moi je voulais me souvenir.
Mais en quoi ladite mémoire est-elle aidante ? En quoi est-il nécessaire de la retrouver ?
Personnelle, elle avait fini parce que trop chargée par sombrer au fond d’un vieux marais. Familiale, bien qu’en partie cachée, elle n’en finissait pas, elle aussi, de distiller ses anciens poisons. Et collective, je savais qu’elle nous agissait à la façon d’un marionnettiste.
Du temps, je pensais être prisonnière et de fait, je l’ai été, avant que de comprendre qu’il me fallait avoir recours à mon potentiel créateur pour me défaire de la tour que j’avais moi-même érigée.
Mais ce n’était là encore rien d’autre qu’une compréhension intellectuelle et conséquemment limitée : car sans un travail d’épuration du mental, sommes-nous seulement en mesure de nous affranchir véritablement du passé quelle que soit l’étendue des souvenirs que nous en avons gardé ?
L’oubli est ontologique et, parce que notre conscience actuelle ne serait pas à même de les gérer, nous venons au monde sans les mémoires de nos vies précédentes : en ce sens, et à ce stade, on peut dire que l’oubli nous protège, bien que, à notre insu, ces mémoires continuent à agir en – et à travers – nous.
Ce qui est vrai pour nos mémoires anciennes l’est aussi pour notre mémoire expériencielle, comme tout ce qui participe de notre intelligence : elle nous sert autant qu’elle nous dessert, à la différence près qu’il n’est pas d’oubli assez puissant pour nous en protéger. Aussi, viendra le temps où il nous faudra constater que si notre mémoire ne fait le plus souvent que nous encombrer, nous n’en avons pas moins toujours été privés de celle qui pourrait nous aider à élucider la véritable histoire de nos origines.
La mémoire est un fardeau et il n’est que de rares fois où il est utile de s’y référer. Elle nous empêche de nous élever au-delà du connu. Elle retarde l’avènement de notre évolution qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a pas encore commencé. Non seulement elle nous coupe de notre réalité multidimensionnelle, mais elle nuit aussi à la simple qualité de présence que nous pouvons offrir au monde et en premier lieu à nous-mêmes.
Nul besoin d’être suprêmement observateur pour savoir que lorsque nous ne sommes pas occupés à imaginer l’avenir – le plus souvent via une grille de lecture ayant été élaborée puis construite au cours de notre passé – nous sommes invariablement entrainés à revenir sur des évènements anciens qui n’ont rien à nous apporter et dont la plupart ne font que nous polluer. Nous avons beau vouloir ne pas penser à ceci ou cela, sans effort de notre part, c’est-à-dire sans discipline, nous y sommes ramenés sans cesse car c’est là notre référenciel. De fait, c’est notre présent qui alors nous échappe et nous sommes prisonniers de nos pensées.
Certaines de nos pensées sont neutres, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas d’incidence, d’autres en revanche, génèrent des émotions qui altèrent notre perception du monde qui nous entoure et nous conduisent à énoncer des propos et poser des actes qui s’en viendront creuser les mêmes ornières et activer les mêmes circuits neuronaux.
Alors, tenons-nous prêts à sortir desdites ornières et comprenons qu’il est largement temps de nous défaire de tout ce qui nous expose et nous alourdit en observant, autant que faire se peut, nos pensées et les émotions qui leur sont associées afin de distinguer celles qui sont le résultat d’une programmation – et qui constituent une nourriture pour les entités -, des autres et faisons de cette observation une discipline.
Entre la mémoire et l’oubli est un autre espace fréquentiel depuis lequel nous avons le pouvoir d’agir pour retrouver notre souveraineté.