La formule
Extrait d’un livre qui était en cours d’écriture juste avant le début des évènement 2020 et que je reprendrai très certainement le moment venu…
Autant vous le dire tout de suite, j’aime les formules. La mathématique des mots, vous voyez ? Et puis celles auxquelles la magie s’accoquine. Et moi qui ai toujours cru aimer écrire plus que tout autre chose ! Mais non : ce que j’aime, c’est la formule qui arrive à point nommé et qui résume tout : celle qui tout synthétise et récapitule et grâce à quoi l’éclairage tant attendu nous est donné en un aha moment inoubliable.
Peut-être même que rédiger des intitulés aurait pu me suffire. Que je m’en serais contentée. C’est du moins ce que j’invente parfois lorsque leur fulgurance me traverse. Pourtant, ne me prenez pas trop au sérieux. Un peu, oui. Juste ce qu’il faut, mais sans excès. Parce qu’en prononçant le mot « sérieux », il est possible qu’on pense au gros Monsieur rouge de l’astéroïde 328 : ce gros Monsieur rouge qui toujours calculait. Et que pourrais-je d’ailleurs bien faire de toutes ces pluies d’étoiles filantes une fois consignées ?
Moi, je ne calcule pas beaucoup. Un peu, oui. Juste ce qu’il faut. Pour savoir où je mets les pieds, au propre comme au figuré ou manipuler les robinets, ce genre de choses, attendu que j’ai du mal à estimer les distances et à comprendre quand ces derniers, en l’absence d’un écoulement manifeste, sont ouverts ou à contrario fermés. Et peut-être que j’aime les monologues aussi. L’histoire devrait pouvoir le dire. À moins que ce ne soit pour me venger de ma mère ; mais bon, là encore, je taquine car nul ne saurait se venger d’une maladie et puis elle est partie. Enfin, au vrai, pas complètement et je te laisse libre d’imaginer à quoi cette précision peut bien se raccorder.
Ah ! Ça y est ! C’était inévitable et je t’ai tutoyé. Le truc, c’est que le voussoiement a tendance à me ralentir et que j’ai trois milliards de choses à exprimer. Ou des trillions comme autant de corps célestes ; ce qui n’importe pas beaucoup vu que je ne sais pas vraiment compter. Peut-être que Saint Exupéry en était lui aussi incapable et que lorsqu’on peine à le faire, on compense en écrivant des contes avec des Messieurs cramoisis qui ne regardent le ciel que dans le seul but d’en dresser l’inventaire et des enfants princiers qui rient ou s’impatientent à les regarder ?
Les inventaires, ça ne sert à rien. Et c’est d’autant plus vain que le vent ne demande qu’à les emporter. J’en veux pour preuve mon premier manuscrit auquel j’avais dénombré pas moins de cinq cent pages. C’est beaucoup cinq cent pages pour qui peine à calculer. Surtout calligraphiées menues menues, comme elles l’étaient. Au stylo, au crayon. Tu vois ? Je n’aurais pas dû chercher à les inventorier : j’aurais alors perdu une seule chose au lieu d’en perdre cinq cent.
Mais bien-sûr je dis ça, tout en sachant qu’on ne perd jamais. Que ce n’est rien qu’une illusion. Une vanité de plus. On croit que l’on perd de la même façon qu’on s’imagine le présent assez discrètement calé entre un passé et un avenir dont on pense ne rien savoir et qui néanmoins nous attend, solide et bien campé. Un avenir que l’on baptisera destin ou hasard ou probabilités ou vengeance ou récompense céleste ou karma ou n’importe quoi d’autre en fonction des croyances du lieu et de l’époque où l’on a débarqué et qu’il nous a semblé bon d’adopter. On croit le présent sans véritable consistance et difficilement saisissable tant il leur est collé ; à peine commencé, déjà obsolète et conséquemment pas vraiment défini alors que c’est là que se joue l’intégralité de notre pouvoir grâce à quoi l’à-venir ressemblera à ceci ou cela ou à telle autre chose encore.
Et tout ça pourquoi ? Juste parce que nous regardons le monde d’un point de vue horizontal. Pourtant, pour peu que nous nous élevions un peu et que nous l’étudions du dessus, la linéarité s’effacera pour ne plus laisser que le point et on s’apercevra qu’il n’y a jamais eu rien d’autre.
Un point : c’est tout. Quand je te disais que j’aimais les formules.