Tous les âges
Je n’ai jamais été jeune. Du moins jusqu’à ces quelques dernières années.
Enfant, mon corps contredisait juste cette réalité intime ; il ne traduisait pas encore l’infinie lassitude que je pouvais éprouver. Mais à dix-huit ans, j’ai fini par réussir à en accuser trente : j’avais enfin hérité du masque plombé du temps. Un masque avec deux belles vallées de larmes et puis, de part et d’autre de la bouche, des plis d’amertume joliment dessinés. C’était déjà plus cohérent.
En fait, trente ans est l’âge que j’ai le plus longtemps gardé.
J’y suis même restée rivée des années après l’avoir coché dans mon calendrier. Une décennie, durant laquelle toutes les pendules auraient pu tout aussi bien être arrêtées. Comme si j’avais été programmée pour incarner toute ma vie cette trentenaire.
Et puis à quarante, mon corps s’est mis à se comporter un peu normalement : j’ai commencé à m’approcher de façon progressive de l’âge que j’avais. Parallèlement, c’est à ce moment-là que je me suis mise à contacter en moi l’adolescente.
Aujourd’hui, dans ma cinquante deuxième année, c’est la gamine que je sens s’éveiller. Alors forcément, je ne peux que réjouir à l’idée d’avancer en âge, surtout si je suis en passe de tous les récapituler. Peut-être y aura-t-il au bout pour moi le doux bercement des eaux matricielles ?