Nicolas
ou Le meilleur boulanger du monde
Lorsqu’il m’est donné de rencontrer un boulanger – j’entends un véritable artisan et amoureux du pain – il m’amuse beaucoup de lancer sur un ton vaguement négligent : « vous connaissez Nicolas Supiot ? » et de guetter la réponse qui ne manque pas aussitôt de fuser.
Car Nicolas est le meilleur paysan boulanger du monde et dans le monde de la boulange, il est tout-à-fait impossible de l’ignorer. Oui, mais moi, je connais le Nicolas conteur, le sophrologue, le prêtre, l’astrologue. Je connais le père et l’ami. Je connais le temps qui donne de la patine aux choses et les rêves qui nous agissent et viennent pour nous édifier.
Lorsque je l’ai rencontré, il y a de cela une quarantaine d’année, il n’était pas encore l’homme qu’il est devenu, mais il avait déjà un parler fluide qui fascinait l’espèce de Joconde au sourire contraint que j’incarnais encore en dehors de mes heures de présence sur le boulevard de Clichy où j’exerçais la profession de sirène naufrageuse. Une Joconde prête à faire passer sa mutité pour n’importe quoi pourvu que l’inconfort social qui en était pourtant la véritable origine ne soit pas révélé.
Et puis voilà qu’au sortir d’un rêve, douze ou quinze ans plus tard, j’apostrophe le père de mon fils, qui se trouve être un de ses amis d’enfance, en ces termes :
« J’ai rêvé que Nicolas avais mis sa langue dans ma bouche ».
Je crois bien que j’étais la première surprise. Pourtant j’aurais pu dire qu’il m’avait embrassé, roulé un patin – que sais-je encore ? ! – et je serais alors passée à côté de l’information qui venait de m’être délivrée.
Non. Nicolas avait mis sa langue dans ma bouche. Je venais grâce à lui de déverrouiller mon chakra laryngé et j’allais pouvoir enfin parler.
J’ignorais que j’allais, à peine quelques mois après, être amenée à donner une conférence à l’IRTS de Bordeaux devant plus de quatre-cents personnes.